Atelier P

Au sein de l’atelier P. pour « ponctuel », nous allons « faire du théâtre » c’est-à-dire recréer la situation (problématique) dans laquelle se trouve l’acteur : incarner un personnage libre et vivant avec et devant les autres.

Le champ d’application sera donc le théâtre lui-même. Ses contraintes et aussi ses forces.

Ce qui sauve l’acteur de sa détresse constitutive et de sa difficulté à agir, c’est la présence des autres. L’acteur n’est jamais seul. Il est en relation. Il s’adresse toujours à quelqu’un. Il écoute toujours quelqu’un. Cette relation crée une tension de vie qui, inscrite dans la temporalité de la représentation, justifie la présence de l’acteur.
Il faut donc clarifier son lien avec « les autres ».

Tout d’abord au sein des répétitions, se livrer à l’autre, partenaire et personnage, est une façon de se construire. Cela exige une capacité d’écoute et de don de soi qui semble n’être jamais suffisante en même temps que ce mouvement ne doit pas priver l’acteur de lui-même, de ses intuitions, de ses sensations, de ses désirs aussi et de son intelligence.

De même, la compréhension exacte de la place de chacun est essentielle dans l’élaboration d’un spectacle pensé comme un tout organique. Cette place ne se limite pas aux strictes frontières du rôle. Il s’agit du rôle, plus large, que chacun tient au sein d’un groupe. La nature de ce qui circule entre les artistes est capitale. L’esprit du travail est donc également alimenté par le désir d’améliorer la qualité de cette relation qui se diffusera sur la scène.

Reste la question la plus déterminante pour l’acteur : comment accepter la réalité oppressante du regard du public ? Ou autrement dit, de quoi est fait le quatrième mur ?
Cette question conditionne tous les choix esthétiques; elle est au cœur des enjeux du théâtre contemporain :
Peut-on encore se contenter de dérouler une histoire pour produire l’illusion ?
Est-il pertinent d’expliquer aux spectateurs qu’ils assistent à une fable à laquelle il ne faut pas croire ?
Dans quelle mesure l’identification porte en soi le danger de couper tout lien entre la scène et le public ?
Que doit-on préciser dans le jeu qui rendrait cette relation juste et vivante ou, pour le dire autrement, comment ne pas séparer le réel du personnage et le réel du spectacle ?
En cherchant à concilier la vérité de l’acteur, celle du personnage et celle du spectateur, nous découvrirons des pistes pour élaborer un théâtre vivant au sein duquel devient nécessaire la liberté créatrice de l’acteur.

Puisqu’il ne s’agit pas de monter un spectacle, nous définirons un thème pour chaque session selon sa capacité à offrir à notre étude et à nos découvertes une vérification pratique optimale et à fédérer le groupe.
Nous écouterons également les inspirations du moment, les bruits du monde et les désirs des acteurs.
Ce pourra être un auteur, une œuvre, un sujet, un style, pourquoi pas un lieu particulier, une musique…

Nous envisageons, à l’issue de l’atelier, d’en présenter des éléments afin de partager le fruit de cette étude sur le travail de l’acteur auprès d’un auditoire choisi.

De l’autre côté

Troisième édition – courant 2016


LA LIBERTÉ PAR L’ALIÉNATION

Si le comédien est un homme qui cherche la plus grande liberté afin de laisser au mieux, au plus juste, au plus vrai son âme singulière s’exprimer, ne pourrait-il s’inspirer du plus libre qui soit : celui pour lequel le regard de l’autre n’existe pas et que nous nommons « fou »?

Partant de là, apparaît une situation existentielle idéale pour explorer les fondamentaux de l’acteur :
le don de soi, gratuit,
un champ d’investigation sans bornes,
un rapport à soi naturellement juste,
l’absence totale de la nécessité d’expliquer, de justifier quoi que ce soit,
l’adéquation immédiate et sans contrainte entre les impulsions et les moyens d’expression,
la volonté de ne pas jouer, de ne pas être « joli », de ne pas chercher à plaire,
la liberté comme condition première du moindre geste,
le désir de s’éloigner des territoires connus.
Et une plongée en soi, dans l’intime, sans peur, en vérité.

Nous portons en nous, acteurs ou non, notre « fou », l’habitant d’une sorte d’ « arrière pays » de notre monde intérieur où nous allons rarement nous promener. Une part de nous-mêmes singulière, méconnue, dont l’étrangeté peut faire un peu peur et qui ne paraît pas aimable. Il s’agit pourtant d’un territoire d’une grande puissance créatrice qui a son langage propre et nous offre, de nous-même, un visage neuf. Une terre fertile qui se trouve de l’autre côté de la conscience.

Il s’agira de « chercher son fou » comme on « cherche son clown ».

Contrairement au clown, la découverte du fou fera apparaître un matériau brut qu’il faudra affiner, consolider pour faire naître une créature libre et autonome. Cette exploration sera l’occasion de se confronter aux difficultés récurrentes de l’acteur qui crée un personnage dans une recherche d’identification. Il ne s’agira donc absolument pas de se pencher sur l’étude clinique réelle des cas pathologiques définis par la psychiatrie. Notre démarche est artistique et même poétique, et avant tout, créatrice.

Enfin nous ferons en sorte que ces créatures puissent se rencontrer dans une situation révélatrice pour observer quel monde se construit sous nos yeux. Et en recevoir le sens.

Que se passe-t-il lorsque le regard de l’Autre n’existe plus?
Est-ce à dire que l’Autre n’existe plus?
Qu’en est-il alors du Moi? Et de la conscience?
Le gain de liberté ne se révèle-t-il pas être une perte de liberté?
Où se trouve la frontière entre le gain et la perte?
Entre la présence et l’absence au monde?
Où se situe l’acteur qui est dans la peau d’un Autre?
Quelle relation entretient-il avec ses partenaires?
Et quel rôle pour les spectateurs?

Qu’y a-t-il de l’autre côté?

→ Pour en savoir plus sur le Théâtre vivant

Atelier P.1 de juin 2014