D’aimer

Irène, soixante ans, mère de famille rangée est dans le coma.

Il se pourrait qu’elle ait tenté de se donner la mort. Ses enfants et ses proches sont réunis autour d’elle et s’interrogent : on découvre la présence dans sa vie d’un peintre roumain inconnu avec lequel elle vivrait une grande passion amoureuse.

Mais Irène est-elle capable de passion? A son âge? Que sait-on des secrets des autres? Que sait-on de l’amour?

Et comment échapper aux multiples images de la mère assignées par nos constructions sociales et familiales?


Ce spectacle était une longue improvisation structurée à partir d’un travail mené toute l’année au sein de l’atelier. Nous sommes partis de la construction des personnages et de leurs relations autour du thème de la famille et de la passion amoureuse. Les comédiens improvisaient, cherchaient; je les suivais et les guidais. Quand l’idée générale de l’histoire a vu le jour, nous avons donné un cadre plus précis à nos improvisations pour aboutir à la structure de la pièce. Scènes par scènes, les comédiens suivaient un canevas intérieur et extérieur, ponctué de rendez-vous précis parfois écrits. Le spectacle était soutenu par des projections ponctuelles d’images, courtes, séquences plus ou moins abstraites évoquant peut-être, dans les limbes où Irène s’est réfugiée, les émotions qui la traversent en réaction ou non à la réalité. Une sorte de boîte (crânienne) noire. Ces images pensées comme une parole surnaturelle, manifestation d’un ailleurs qui pouvait être son inconscient, enrichissaient les propos, les non-dits d’une résonance poétique. Le « texte » de cette pièce est donc plus le fil conducteur des acteurs et du régisseur qu’une partition précise avec une suite dialoguée.

écrit et mis en scène par
Anne Coutureau pour l’atelier A.

Images vidéo et photos CLL

Avec
Sophie Delrue,
Véronique Dréau,
Rémi Godement-Berline,
Amélie Guillot,
François Guillotte,
Claire Guillon,
Thinga Nguyen,
Cécile Roygnan,
Françoise Tardrew
et Elisa Thuan.

Théâtre du Nord-Ouest

Scène 8

Les petites sœurs – DELPHINE et ALEXIA

D’abord un silence chargé de non-dits.

Alexia pense et/ou aurait envie de dire :

« Comment ça va avec ton mari? Oui, je m’intéresse sincèrement à cet homme qui ne m’aime pas et qui m’a toujours méprisée, de loin. Parce que je suis bonne.

Tu es tendue. Tu es inquiète pour maman, moi aussi. Même si je n’en ai pas l’air. Je suis inquiète mais je tiens. Oui, je sais un certain nombre de choses sur la vie que tu ignores parce que tu ne t’es jamais jetée dans l’existence. Tu n’as jamais écouté tes vrais besoins, tes vrais désirs. Je ne pense pas que tu sois heureuse avec cet homme car je sens que tu ne l’aimes pas. De toutes façons, il est trop dur avec toi. Je comprends l’attache affective de tes enfants. je t’envie d’avoir ces enfants, surtout deux petites filles. Et je t’admire de faire face. J’aimerais ne plus sentir ce regard désapprobateur sur ma personne entière dans chacun de tes regards, j’aimerais que tu cherches un peu à savoir qui je suis. Que tu me croies, que tu comprennes que je suis sincère. Que je ne suis pas méchante mais lucide. »

Delphine pense :

« Je sais que tu n’as jamais aimé mon mari, tu méprises ma vie, ma famille. Tu penses que je suis une bourgeoise coincée dans des schémas artificiels et qu’être mère est une responsabilité écrasante, qu’aucune femme ne peut être à la hauteur, surtout pas moi mais tu me confonds avec maman et tu projettes sur moi toutes tes frustrations de fille.

Tu ne me vois pas telle que je suis car tu as des idées sur la liberté qui n’envisagent pas qu’on puisse être heureux sans être marginal. Je déteste que tu revendiques ta marginalité. Tu devrais la cacher et en avoir honte au lieu de l’exhiber comme un trophée. Tu es bizarre et je suis mal à l’aise avec toi. J’en ai assez de ne pouvoir le dire. Et j’ai honte de le penser. Je ne me suis jamais sentie très proche de toi. J’ai envie de rester seule, là et j’ai envie de pleurer mais tu n’auras pas ce plaisir. Surtout, ne me parle pas de maman. »

Pour toutes deux, l’inquiétude au sujet de leur mère est ce qui prend le pas. Toutes ces pensées, instinctives, fugaces sont presque inconscientes, défilent malgré elles et sont noyées dans la tension, la tristesse et la gravité qu’implique la situation. Mais cette inquiétude a tendance à se teinter d’une préoccupation d’une autre nature : que s’est-il passé entre leur mère et cet homme? Qui est-il? Quels sont ces secrets? Y en a-t-il d’autres? etc.

Delphine est totalement fermée et ne désire aucun rapprochement, elle évite sa sœur. Ne s’installe pas.

Alexia sent cette fermeture et sans chercher à la forcer, elle lance quelques perches, en souriant. Sa douceur exaspère Delphine qui ne peut même pas se raccrocher à la méchanceté légendaire de sa sœur dont le ton précautionneux l’exaspère.

Alexia aimerait évidemment parler de M., sujet que Delphine, précisément tient par-dessus tout à éviter.

Dialogue court, sec, tendu.