Naples Millionnaire!

Création en France
Beaumarchais du « Meilleur Spectacle 2012 »
Prix du public attribué par le Figaro

« Naples, quartiers populaires, 1942. L’Italie est ruinée par le fascisme et la guerre. La famille Jovine fait du marché noir pour s’en sortir sous le regard désapprobateur du père. Deux ansplus tard, alors qu’il revient des camps, sa femme a saigné tout le quartier. En virtuose de la scène, De Filippo entremêle comédie et tragédie et c’est par les yeux étonnés de son double incarné par le père, clown lyrique et misérable – sorte de Charlot napolitain – porteur d’utopie et de tendresse, qu’il nous révèle ce monde déchu. Une galerie de personnages irrésistibles, malins et dignes, au parler imagé, plongés dans l’atmosphère mythique de cette ville grouillante où le mélo côtoie la poésie, un univers bruyant et coloré, l’alchimie magique d’une écriture extrêmement précise qui n’abandonne rien de la vérité humaine.

De Filippo montre avec précision le dispositif de l’aveuglement moral. Sa position est claire.Rien ne doit faire renoncer un homme à ce qui le définit : sa conscience. C’est une limite. En-deçà, nous ne sommes plus des hommes. La pensée d’Eduardo De Filippo s’apparente à celle qu’élabore au même moment Robert Antelme dans L’Espèce humaine. Une pensée qui invite à reconstruire les consciences. « Il faut que la nuit passe », tel est l’ultime message de la pièce, « profondément optimiste », et qui constituait, selon l’auteur, « un appel aux hommes de bonne volonté pour travailler ensemble à un avenir meilleur et différent. »

Texte français Huguette Hatem
(L’Avant-Scène Théâtre-Collection des quatre-vents)
Mise en scène Anne Coutureau
Assistantes Amélie Cayol et Isabel De Francesco

Avec
Eloïse Auria (Maria Rosaria)
Francesco Calabrese (Errico « Settebellizze »)
Cécile Descamps (Adelaïde Schiano)
Emmanuel Gayet (Riccardo Spasiano)
Pascal Guignard (Federico et le docteur)
Pierre Benoist (Face de moine)
Patrick Courteix (Ciappa)
David Mallet (Peppe-le-cric)
Pauline Mandroux (Donna Peppenella et Teresa)
Sacha Petronijevic (Gennaro Jovine)
Sophie Raynaud (Assunta)
Gaëtan Guilmin (Amedeo)
Perrine Sonnet (Amalia Jovine)

Décor Elodie Monet et Simon Gleizes
Costumes Philippe Varache
Lumière Patrice Le Cadre
Maquillage-coiffure Solange Beauvineau
Son Jean-Noël Yven
Extraits musicaux Nino Rota
Images CLL
Presse Francesca Magni / La Strada

Production Théâtre vivant
Avec l’Aide à la Création du Centre national du Théâtre
En co-réalisation avec le Théâtre de la Tempête
En partenariat avec la Compagnie Tabarmukk pour les costumes
Création au Théâtre de la Tempête
janvier 2012

Saison 2012-2013
Théâtre de l’Ouest parisien
ATP Poitiers
ATP Orléans

Notes de mise en scène

De Filippo est avant tout un homme des planches. Comme Molière, il écrit d’abord pour la scène. Dans Naples millionnaire! tout est jeu. Tout est dramatique dans le sens où tout a une signification scénique. La justesse psychologique est au service de l’action et réciproquement. Il faut toujours aller dans les deux directions à la fois, ne pas privilégier l’une sur l’autre mais chercher l’équilibre. Aucun détail n’échappe à la démonstration finale — le « super-objectif » dirait Stanislavski. Les inventions les plus étonnantes et les plus complexes ne coupent jamais le fil précis de la démonstration qu’il « suffit » de suivre.

De même, malgré le nombre, chaque personnage est important. Chaque personnage porte son drame, son monde. Est considéré. Il n’est pas au service d’une petite idée ou d’une petite action. Même s’il joue un rôle précis dans le dispositif, il existe en soi.

« Enfin j’allais pouvoir changer ma manière d’écrire, tandis que pendant le fascisme, j’avais dû cacher la vérité sociale sous le grotesque et l’absurde pour ne pas être censuré, maintenant je pouvais parler ouvertement et essayer la forme théâtrale à laquelle j’avais toujours aspiré et qui est, du reste la plus ancienne : la correspondance idéale entre vie et spectacle, la fusion tantôt harmonieuse, tantôt grinçante, entre rires et larmes, grotesque et sublime, drame et comédie, j’allais abandonner cet artifice scénique, la division nette entre farce et tragédie. (…) J’écrivis alors Naples millionnaire! »

Eduardo De Filippo

Les effets, en nombre, tragiques ou comiques ne sont jamais gratuits. Ce sont de simples moments de vie qui prennent racine dans le parcours des personnages, en cohérence. La force de De Filippo est d’avoir nourri sa connaissance d’une observation minutieuse des gens qui lui permet de ne jamais quitter la vérité humaine. L’enjeu, pour le metteur en scène, consiste à doser les ingrédients de la situation en suivant intuitivement cette exigence de vérité.

Ainsi cette fausse veillée funèbre de l’acte un, magistrale mise en abîme (qui est aussi un de ces hommages au théâtre dont De Filippo, en amoureux de son art, parsème son œuvre). Les spectateurs assistent à une véritable mise en scène dans laquelle les personnages, devenus acteurs, sont vraiment bons ainsi que le précise l’étonnante didascalie : « l’actrice devra arriver à être déchirante, tragique sans caricature, un peu en raison du danger imminent et un peu en raison de la perfection du jeu qu’arrive à atteindre notre peuple ».

NAPLES…

Restituer Naples, cette ville-monstre, paradoxale, impressionnante et émouvante qui plonge ses racines dans la mythologie grecque, allie le dénuement et le baroque, la grandeur et la misère, la beauté et le mauvais goût, invite à rencontrer un monde en soi.
C’est un voyage. En terre étrangère.

Afin de créer ces personnages si « autres », ma conviction a été d’amener les comédiens à opérer une « mutation ». Nous avons plongé dans l’Histoire de l’Europe et dans la culture napolitaine, la langue, sa musique, la façon dont elle conditionne les corps de même que l’architecture des ruelles, nous avons étudié les mentalités, la société, la religion, la superstition, le rapport à la mort et aussi le café, le bruit, les chansons et tout ce qui compose la culture populaire… avec cette découverte précieuse : ce qui définit ces gens pourrait définir des acteurs. Ils sont libres et dignes, n’ont pas peur de ce qui s’exprime en eux, ils sont dans le présent (le futur n’existe pas en napolitain et sur les murs de la ville, ce graffiti comme un slogan « il futuro non è scritto »), passionnés par la vie et prêts à tout, engagés entièrement dans ce qu’ils font, ils s’adaptent à une vitesse étonnante, ne perdent jamais la face, usent du mensonge avec bonne foi, et ont, en effet, un talent naturel pour le théâtre.
Dès lors cette mutation a entraîné un mouvement de convergence entre les bassi et le plateau laissant finalement apparaître des qualités morales communes.

Chercher cette « napolitanité », ce fût donc aussi nourrir le jeu des acteurs et l’esprit du travail d’une certaine sagesse. La sagesse universaliste d’un peuple qui, sûr de sa valeur, ne craint rien et aime passionnément la vie. De manière exemplaire, la culture napolitaine s’est forgée aussi par les multiples invasions que la ville a subies au cours de son histoire sans jamais perdre son identité. Elle affirme ainsi que la véritable humilité est seule garante de l’intégrité des individus comme des peuples car elle permet de s’ouvrir à l’autre sans peur et de se nourrir de lui.

NAPLES, BABYLONE

En 1943, l’Italie passe du fascisme à la République et de la guerre aux côtés d’Hitler à la Paix du côté des Alliés.

A Naples, la population est totalement brisée par la guerre, les bombardements diluviens, la faim, les épidémies et vingt années de dictature lorsqu’arrivent, des quatre coins du monde, ces jeunes Libérateurs apportant la Paix et l’abondance. Abandonné par ses dirigeants, totalement livré à lui-même, ce peuple vaincu puise dans son malheur une merveilleuse pulsion de vie et va s’offrir entièrement à cette rencontre inouïe.

S’ouvre alors une période fascinante de liberté absolue, une zone historique de non-droit.

Et ce qui n’était jamais arrivé, arrive.

Face à ces grands et beaux garçons innocents, « l’Amérique en personne », qui apportent avec la liberté de pensée, la contrebande à grande échelle et la syphilis, le peuple napolitain, vieux de quatre millénaires, pouilleux, fier et génial vend ses femmes et ses enfants et fait du trafic de soldats nègres. Bientôt, il ne sera plus possible de distinguer le sens des choses, toutes les langues de la terre se feront entendre, tout se mélangera dans une explosion féroce et inédite réveillant le Vésuve qui fera trembler la ville pour couronner la fête.

C’est une expérience détonante, un de ces extraordinaires cocktails que réserve l’Histoire et qui permettent, dans l’horreur même, d’éclaircir un peu le mystère que nous sommes, de ces encres vivantes dans lesquelles les artistes vont longtemps tremper leur plume.

« Oh cela n’est rien, ce sont des choses pour rire, la faim, les bombardements, les exécutions, les camps de concentration, tout cela c’est pour rire, des sottises, de vielles histoires. En Europe, on connaît ça depuis des siècles. Ce n’est pas tout ça qui nous a réduits ainsi. (…) Jadis on endurait les souffrances les plus terribles, on tuait et on mourait, pour sauver son âme et celle des autres. Aujourd’hui on souffre et on fait souffrir, on fait des choses merveilleuses et des choses terribles, non pour sauver son âme mais pour sauver sa peau. (…)

C’est la civilisation moderne, cette civilisation sans Dieu, qui oblige les hommes à donner une telle importance à leur peau. Seule la peau compte désormais. Il n’y a que la peau de sûr, de tangible, d’impossible à nier. C’est la seule chose qui soit à nous. La chose la plus mortelle qui soit au monde. Seule l’âme est immortelle, hélas! Mais qu’importe l’âme, désormais? »

La Peau, Malaparte (1949) traduction R. Novella.

« IL FAUT QUE LA NUIT PASSE »

De Filippo plonge à chaud dans le microcosme d’une famille des quartiers populaires pour montrer avec précision le dispositif de l’aveuglement moral. Sa position est claire. Rien ne doit faire renoncer un homme à ce qui le définit : sa conscience. C’est une limite. En deçà, nous ne sommes plus des hommes; une pensée qui invite à reconstruire les consciences. « Il faut que la nuit passe », ultime message métaphorique de la pièce, « profondément optimiste », constituait selon l’auteur « un appel aux hommes de bonne volonté pour travailler ensemble à un avenir meilleur et différent. »

Par le retour du père qui reprend sa place, l’ordre revient, non un ordre bourgeois et patriarcal mais celui de la Loi, indispensable à l’existence de toute société et qui repose sur un désir universel de Paix dans le respect de la dignité humaine. Ce père, figure christique, n’a pas besoin de dire, sa présence suffit. Il a traversé l’Europe en sang. Il a vu. Il sait. A présent, il est là. Il les regarde. Il les voit. Et aussitôt, chacun se voit.

Dans Naples millionnaire!, les personnages accusent la guerre de tous leurs maux comme nous faisons aujourd’hui avec la crise. Comme dépossédé de sa conscience, l’homme contemporain accuse l’ordre du monde, c’est-à-dire son désordre. Une manière de se voiler la face. L’image chaotique d’une civilisation privée de sa spiritualité, l’ingérence des peuples qui en libèrent d’autres pour mieux les dominer, les moments d’incertitudes et de permissivité qui suivent l’écroulement des dictatures, la dislocation des liens sociaux et familiaux en période de troubles, il est déstabilisant de voir à quel point les dérèglements de notre monde ressemblent à ceux que décrit De Filippo après « la tragédie qui a dévasté le monde ». Aujourd’hui où les marchés financiers semblent avoir dérobé aux hommes leur pouvoir, comment croire encore que nos actions individuelles aient une incidence sur le monde?

Peut-être faut-il puiser notre inspiration au théâtre. Face à ce père de famille, par exemple, qui, dignement, dépasse sa fatigue et ses souffrances pour inviter les siens à se relever et rappelle ainsi, comme en écho à Robert Antelme qui écrit L’Espèce humaine au même moment, que la conscience humaine est irréductible.

Anne Coutureau

Eduardo De Filippo naît à Naples en 1900 et traverse le vingtième siècle sur les planches.

Fils naturel du célèbre auteur et directeur de troupe Eduardo Scarpetta, il débute à quatre ans, exerce tous les métiers de la scène et apprend en même temps le théâtre et la vie. Entouré de son frère Peppino et de sa sœur Titina, il se fait un nom dans le milieu du Varietà grâce à son grand talent d’acteur, excellent dans leurs sketches comiques.

En 1931, le trio fonde le Théâtre Humoristique des De Filippo qui joue les pièces qu’Eduardo et Peppino écrivent. Pendant douze ans leur renommée ne fait que croître et dépasse les frontières napolitaines.

Puis c’est la guerre, il écrit Naples millionnaire! Cette année-là, les deux frères se séparent. Peppino poursuivra de son côté sa carrière et Eduardo fonde La Compagnie du Théâtre d’Eduardo. Le succès ne faiblira pas. Il écrit, monte et interprète ses pièces, une quarantaine, qui sont traduites et jouées dans le monde entier et filmées par lui-même pour la télévision.
Il reconstruit le Théâtre San Ferdinando à Naples, réalise des films, joue au cinéma, travaille pour la radio, publie des poèmes, des essais, enseigne la dramaturgie et reçoit d’innombrables récompenses. Il meurt à Rome en 1984.

Dans son pays, l’acteur est aussi connu que Chaplin et son public qui lui voue un véritable culte, l’appelle familièrement Eduardo.
S’inscrivant dans la grande tradition du théâtre populaire, il est désormais reconnu dans le monde entier comme l’un des plus grands dramaturges italiens.

« C’était un auteur qui, même dans les situations les plus désespérées, faisait apparaître tout à coup, par une fissure, une lueur d’espoir, une image positive. Il fût le premier à écrire avec Naples millionnaire!, un texte sur l’après-guerre. Avant même que la guerre ne fût finie, il avait déjà compris ce qui resterait une fois le conflit terminé : désespoir, ridicule, abjection, paroles vendues, tragédies, promesses galvaudées, mais que le désir de vivre à tout prix, de se sortir de ce tas d’imondices, l’emporterait à la fin. C’était un homme qui faisait vibrer les sentiments les plus simples et les plus courants, il ne disséquait pas les grands problèmes existentiels, il ne faisait pas de psychologisme, de haute sociologie mais ses situations étaient géniales. (…) Du grand théâtre. Et je suis certain que sans ses liens avec le tragique du quotidien dans sa réalité profonde, auquel il est toujours resté bien ancré, Eduardo n’aurait jamais pu inventer une machine de théâtre si véridique et si durable. »

Dario Fo. trad. Huguette Hatem

EN FRANCE

Eduardo De Filippo est monté pour la première fois en 1952 par Jacques Audiberti et rencontre le succès durant une dizaine d’années grâce à Valentine Tessier et Jacques Fabbri. Puis, blessé par l’accueil réservé à l’une de ses pièces majeures montée superficiellement sous le titre de Zi’ Nico en 1962, il s’estime incompris et refuse ses droits pendant vingt ans.

C’est grâce à Huguette Hatem qu’en 1982, il accepte d’être à nouveau joué en France. Elle traduit alors son théâtre pour Jean Mercure, Françoise Petit, Pierre Ascaride, Claude Yersin, Jacques Nichet, Jacques Mauclair, Marcel Maréchal, Felix Prader, Lisa Wurmser, Bernard Lotti, François Kergourlay…
Ces dernières années L’Art de la Comédie mis en scène par Philippe Berling, spectacle inaugural du Théâtre de la Liberté à Toulon – 2011 La Grande Magie mis en scène par Laurent Laffargue au TOP en 2008 puis par Dan Jemmet à la Comédie Française 2009-2010, entrée au répertoire. Sik-Sik par Luciano Travaglino au Théâtre de La Girandole à Montreuil. 2009 L’Art de la Comédie par Marie Vayssère au Théâtre de la Bastille à Paris. Filumena Marturano par Gloria Paris au Théâtre de l’Athénée
La dernière création d’une pièce de De Filippo est Noël chez les Cupiello par Jacques Mauclair au Théâtre du Marais en 1995.

LA TRADUCTION

Après avoir obtenu l’agrégation d’italien et avoir enseigné, Huguette Hatem se spécialise dans la traduction du théâtre italien : Goldoni, Pirandello, Ugo Betti, Ettore Scola, Franco Cuomo, Manlio Santanelli.

Elle s’attache plus particulièrement à faire découvrir en France l’œuvre d’Eduardo De Filippo dont elle a traduit une quinzaine de pièces. Elle a publié de nombreux articles sur le théâtre italien contemporain et a collaboré à la revue Esprit. Elle a reçu, en 1980, le Prix de l’adaptation italienne décerné par la société des auteurs italiens et la SACD puis, en 1994, à Rome, le Prix national de Traduction.

En 2009, sa traduction de La Grande Magie mise en scène par Dan Jemmet à la Comédie Française est nominée aux Molières.

Elle est aussi comédienne et a joué notamment dans cinq pièces d’Eduardo De Filippo dont Noël chez les Cupiello, avec Jacques Mauclair, spectacle récompensé en 1996 par l’Académie des Molières.

NOTE SUR LE LANGAGE PAR HUGUETTE HATEM

La pièce est écrite en dialecte napolitain. On dit « dialecte » pour l’opposer à l’italien mais le napolitain est une langue à part entière qui possède plusieurs niveaux, du langage de la rue à la langue de la culture. Le parler de Gennaro et de sa famille est très imagé, et les expressions choisies par l’auteur se réfèrent aux mentalités et aux coutumes des Napolitains de l’époque. Il fallait donc privilégier les tournures particulières, conserver les nombreuses allusions aux lieux et aux Saints qui parsèment les dialogues tout en essayant de garder la saveur de la langue, c’est pourquoi les noms et même la plupart des surnoms des personnages n’ont pas été traduits pour leur laisser leur musicalité.

Comme partout le langage a évolué depuis 1945, année de la création de la pièce. A l’époque, les enfants s’adressaient à leurs parents avec plus de révérence qu’aujourd’hui même si les sentiments demeurent identiques. Nous avons gardé, comme dans l’original, l’alternance entre le tutoiement et le vouvoiement, même si cette dernière forme paraît étonnante dans un milieu pauvre lorsque les enfants s’adressent à leurs aînés.

Eduardo De Filippo naît à Naples en 1900 et traverse le vingtième siècle sur les planches.

Fils naturel du célèbre auteur et directeur de troupe Eduardo Scarpetta, il débute à quatre ans, exerce tous les métiers de la scène et apprend en même temps le théâtre et la vie. Entouré de son frère Peppino et de sa sœur Titina, il se fait un nom dans le milieu du Varietà grâce à son grand talent d’acteur, excellent dans leurs sketches comiques.

En 1931, le trio fonde le Théâtre Humoristique des De Filippo qui joue les pièces qu’Eduardo et Peppino écrivent. Pendant douze ans leur renommée ne fait que croître et dépasse les frontières napolitaines.

Puis c’est la guerre, il écrit Naples millionnaire! Cette année-là, les deux frères se séparent. Peppino poursuivra de son côté sa carrière et Eduardo fonde La Compagnie du Théâtre d’Eduardo. Le succès ne faiblira pas. Il écrit, monte et interprète ses pièces, une quarantaine, qui sont traduites et jouées dans le monde entier et filmées par lui-même pour la télévision.
Il reconstruit le Théâtre San Ferdinando à Naples, réalise des films, joue au cinéma, travaille pour la radio, publie des poèmes, des essais, enseigne la dramaturgie et reçoit d’innombrables récompenses. Il meurt à Rome en 1984.

Dans son pays, l’acteur est aussi connu que Chaplin et son public qui lui voue un véritable culte, l’appelle familièrement Eduardo.
S’inscrivant dans la grande tradition du théâtre populaire, il est désormais reconnu dans le monde entier comme l’un des plus grands dramaturges italiens.

« C’était un auteur qui, même dans les situations les plus désespérées, faisait apparaître tout à coup, par une fissure, une lueur d’espoir, une image positive. Il fût le premier à écrire avec Naples millionnaire!, un texte sur l’après-guerre. Avant même que la guerre ne fût finie, il avait déjà compris ce qui resterait une fois le conflit terminé : désespoir, ridicule, abjection, paroles vendues, tragédies, promesses galvaudées, mais que le désir de vivre à tout prix, de se sortir de ce tas d’immondices, l’emporterait à la fin. C’était un homme qui faisait vibrer les sentiments les plus simples et les plus courants, il ne disséquait pas les grands problèmes existentiels, il ne faisait pas de psychologisme, de haute sociologie mais ses situations étaient géniales. (…) Du grand théâtre. Et je suis certain que sans ses liens avec le tragique du quotidien dans sa réalité profonde, auquel il est toujours resté bien ancré, Eduardo n’aurait jamais pu inventer une machine de théâtre si véridique et si durable. »

Dario Fo. trad. Huguette Hatem

EN FRANCE

Eduardo De Filippo est monté pour la première fois en 1952 par Jacques Audiberti et rencontre le succès durant une dizaine d’années grâce à Valentine Tessier et Jacques Fabbri. Puis, blessé par l’accueil réservé à l’une de ses pièces majeures montée superficiellement sous le titre de Zi’ Nico en 1962, il s’estime incompris et refuse ses droits pendant vingt ans.

C’est grâce à Huguette Hatem qu’en 1982, il accepte d’être à nouveau joué en France. Elle traduit alors son théâtre pour Jean Mercure, Françoise Petit, Pierre Ascaride, Claude Yersin, Jacques Nichet, Jacques Mauclair, Marcel Maréchal, Felix Prader, Lisa Wurmser, Bernard Lotti, François Kergourlay…
Ces dernières années L’Art de la Comédie mis en scène par Philippe Berling, spectacle inaugural du Théâtre de la Liberté à Toulon – 2011 La Grande Magie mis en scène par Laurent Laffargue au TOP en 2008 puis par Dan Jemmet à la Comédie Française 2009-2010, entrée au répertoire. Sik-Sik par Luciano Travaglino au Théâtre de La Girandole à Montreuil. 2009 L’Art de la Comédie par Marie Vayssère au Théâtre de la Bastille à Paris. Filumena Marturano par Gloria Paris au Théâtre de l’Athénée
La dernière création d’une pièce de De Filippo est Noël chez les Cupiello par Jacques Mauclair au Théâtre du Marais en 1995.

LA TRADUCTION

Après avoir obtenu l’agrégation d’italien et avoir enseigné, Huguette Hatem se spécialise dans la traduction du théâtre italien : Goldoni, Pirandello, Ugo Betti, Ettore Scola, Franco Cuomo, Manlio Santanelli.

Elle s’attache plus particulièrement à faire découvrir en France l’œuvre d’Eduardo De Filippo dont elle a traduit une quinzaine de pièces. Elle a publié de nombreux articles sur le théâtre italien contemporain et a collaboré à la revue Esprit. Elle a reçu, en 1980, le Prix de l’adaptation italienne décerné par la société des auteurs italiens et la SACD puis, en 1994, à Rome, le Prix national de Traduction.

En 2009, sa traduction de La Grande Magie mise en scène par Dan Jemmet à la Comédie Française est nominée aux Molières.

Elle est aussi comédienne et a joué notamment dans cinq pièces d’Eduardo De Filippo dont Noël chez les Cupiello, avec Jacques Mauclair, spectacle récompensé en 1996 par l’Académie des Molières.

NOTE SUR LE LANGAGE PAR HUGUETTE HATEM

La pièce est écrite en dialecte napolitain. On dit « dialecte » pour l’opposer à l’italien mais le napolitain est une langue à part entière qui possède plusieurs niveaux, du langage de la rue à la langue de la culture. Le parler de Gennaro et de sa famille est très imagé, et les expressions choisies par l’auteur se réfèrent aux mentalités et aux coutumes des Napolitains de l’époque. Il fallait donc privilégier les tournures particulières, conserver les nombreuses allusions aux lieux et aux Saints qui parsèment les dialogues tout en essayant de garder la saveur de la langue, c’est pourquoi les noms et même la plupart des surnoms des personnages n’ont pas été traduits pour leur laisser leur musicalité.

Comme partout le langage a évolué depuis 1945, année de la création de la pièce. A l’époque, les enfants s’adressaient à leurs parents avec plus de révérence qu’aujourd’hui même si les sentiments demeurent identiques. Nous avons gardé, comme dans l’original, l’alternance entre le tutoiement et le vouvoiement, même si cette dernière forme paraît étonnante dans un milieu pauvre lorsque les enfants s’adressent à leurs aînés.

Extraits

Acte 1 – Scène première

AMEDEO On peut avoir un peu de café ?

MARIA ROSARIA Il n’est pas prêt.

AMEDEO Il passe ?

MARIA ROSARIA L’eau doit encore bouillir.

AMEDEO À quoi bon parler ! Est-ce qu’un homme le matin, doit se réveiller comme un animal ? Où est maman ?

MARIA ROSARIA Sortie.

AMEDEO Et papa ?

MARIA ROSARIA Il dort.

GENNARO Je suis réveillé, je suis réveillé depuis cinq heures du matin. C’est ta mère qui m’a réveillé. Quand donc dans cette maison pourra-t-on arriver à dormir ? Écoutez-la, écoutez-la donc ! Oh quel sirop !

AMEDEO Mais … C’est maman ?

MARIA ROSARIA Oui, en train de discuter avec Donna Vicenza.

GENNARO En train de la bouffer, oui !

AMEDEO Encore pour l’histoire de la semaine dernière ?

MARIA ROSARIA Donna Vicenza est verte de jalousie, c’est une intrigante… Quand elle venait ici maman lui donnait une tasse de café, des robes usagées pour sa petite guenon de fille…. elle est comme ça maman, parfois elle y voit clair, parfois elle est aveugle !… Elle a rencontré notre fournisseur de café et elle s’en est fait apporter aussi… Et non seulement elle s’est mise à en vendre dans son basso, juste à côté du nôtre, mais elle le fait payer deux lires cinquante, une demi-lire de moins que nous.

GENNARO Ah voilà : Le Grand Café Italia fait concurrence au Gambrinus.

MARIA ROSARIA Et elle dit partout que le nôtre c’est de l’ersatz.

GENNARO Attends … Non : pas « le nôtre» … le vôtre. Celui que fait ta mère.. Moi je ne m’en mêle pas. On a toujours le cœur qui palpite : la police, le brigadier, les fascistes…

MARIA ROSARIA Oh si ça ne tenait qu’à vous, il faudrait crever de faim !

GENNARO Et toi tu ferais mieux de dire : il faudrait vivre honnêtement.

MARIA ROSARIA Pourquoi c’est malhonnête de faire du café ?

AMEDEO Si nous ne le faisons pas, cent personnes le feront à notre place… Donna Vicenza s’y est mise aussi, non ?

GENNARO La semaine dernière, au Pont de Mola, un homme s’est jeté du quatrième étage.

AMEDEO Quel rapport ?

GENNARO Pourquoi tu ne te jettes pas toi aussi ?

AMEDEO Il y a des choses papa, que vous ne comprenez pas; vous êtes d’une autre époque. (Maria rosaria fait signe à son frère de ne pas accorder d’importance à leur père). Bon, vous avez raison.

GENNARO C’est ça, j’ai raison…Ta soeur t’a fait signe, n’est-ce-pas? « Fais pas attention à lui »… Mes pauvres enfants. Quelle génération perdue ! Je voudrais bien savoir : le café que vous vendez trois lires la tasse, le contrebandier qui vous l’apporte, il le prend où? Il l’enlève aux cliniques, aux hôpitaux, aux infirmeries militaires !

AMEDEO Papa, taisez-vous. Vous étiez déjà un peu… déphasé, mais maintenant vous êtes devenu complètement gâteux. Quelles cliniques, quels hôpitaux militaires ? La nourriture, vous savez où elle va ? dans les maisons des chefs. Hier les cinq kilos de café qui nous les a apportés ? Un gros bonnet fasciste ! Et vous dites qu’on l’enlève aux cliniques ? Si la classe dirigeante filait droit, je serais l’homme le plus méprisable de parler comme ça… mais quand on voit que ceux qui doivent donner l’exemple sont des voleurs, alors on se dit…  Eux ils mangent, ils engraissent pendant que je crève de faim ? Ils volent, eh bien moi aussi. Et sauve qui peut !

GENNARO Non, tant que je serai dans cette maison, tu ne voleras pas.

[…]

ACTE 1

GENNARO Alors voici mon projet. (Il veut résumer ce qu’il a déjà dit) On parlait de la pénurie de denrées. Je soutenais qu’il n’en manquait pas mais que les taxer les font disparaître. (Temps, personne ne comprend) Il ne s’agit pas de se contenter d’une explication simpliste, pour échanger deux mots le matin, non, il faudrait des mois et des mois, des années et des années pour décortiquer cette pensée. Tout le papier et toute l’encre de l’univers ne suffiraient pas à en retranscrire les résultats.

ERRICO On ne peut pas en discuter rapidement ?

GENNARO Silence, je parle.

PEPPE Don Gennaro, j’ai pas la patience. Ne vous mettez pas en colère, mais les longs discours, moi, ça me bassine, je m’en vais.

GENNARO Eh bien, va-t-en si tu veux.

ERRICO Laisse-nous écouter. Don Gennaro, continuez.

GENNARO Il faudrait, comme je vous le disais, des années et des années. Mais pour ne pas vous faire perdre de temps,et pour ne pas bassiner Peppe-le-Cric, je vais chercher à vous expliquer ce que la méchanceté et les malheurs des hommes m’ont appris durant ma vie de tribulation, ma vie d’honnête citoyen et de soldat qui a servi sa patrie avec fidélité et honneur durant la dernière guerre. J’ai mon ordre de démobilisation ! (Réaction générale pour dire : « c’est bon, on vous croit, on sait »…) Donc la taxation ? Selon moi elle a été créée au bénéfice de certaines personnes uniquement parce qu’elles savent tenir une plume, font les professeurs et nous donnent des leçons, mais ces personnes agissent toujours à leur avantage et à notre dépens, matériel et moral. Je m’explique, taxer, ça veut dire : « Puisque tu ne sais pas vivre, fiche le camp, je vais t’apprendre moi comment on doit se comporter ». Mais ce n’est pas que nous le peuple, on ne sait pas vivre ! C’est leur intérêt de dire que nous sommes paresseux, ignorants, immatures. À force de paroles, ces personnes-là prennent les rênes en main et deviennent les maîtres ! Dans notre cas, ces professeurs-là, ce sont les fascistes. Les enfants, jetez un coup d’œil dehors. S’ils m’entendent, ils me feront ma fête !

FEDERICO Parlez, parlez… il n’y a personne.

PEPPE Bon Dieu, où en est-on arrivé ! On ne peut plus vivre ici.

GENNARO Donc… Je disais que ceux qui tiennent les rênes deviennent les maîtres… Tout en faisant semblant de nous guider pour le bien de tous, petit à petit, d’abord à l’aide d’affiches, puis de discours, de menaces, de décrets, de fusils… ils écrasent le peuple. Comme pour nous maintenant où nous avons peur de parler !

ADELAIDE Bouche cousue, pour l’amour du ciel.

GENNARO Le peuple et ces professeurs se dressent les uns contre les autres. Les professeurs prennent des dispositions pour eux et le peuple en fait de même pour lui. Peu à peu tu as le sentiment que plus rien ne t’appartient, ni les maisons, ni les logements, ni les jardins, plus rien. Tout est la propriété de ces professeurs. Alors on en arrive à faire la guerre. Et qui l’a voulue cette guerre ? Le peuple disent les professeurs. Qui l’a déclarée ? Le peuple. Si on la perd, c’est à cause du peuple. Si on la gagne, c’est grâce aux professeurs. Vous allez me dire : Quel rapport ce discours avec ce dont nous parlions ? Il y en a un. Parce que taxer les produits, c’est une manière d’avilir, d’opprimer et de maintenir le peuple en état d’infériorité. Mon projet de loi serait de donner à chacun une petite part de responsabilité et tous ensemble, on aboutirait à une responsabilité collective et on partagerait de façon égale les honneurs, les malheurs, les profits, les pertes, la vie et la mort. Et personne ne dirait plus : Moi je sais, mais pas toi. PEPPE Don Gennaro, je n’ai rien compris. GENNARO Si tu avais compris on ne serait pas dans cette mélasse.

[…]

ACTE 2

AMEDEO En somme, ça a été dur pour toi…

GENNARO N’en parlons pas…Je ne vous ai encore rien raconté… Ça ce n’était rien…

AMEDEO Mais maintenant, tu es là avec nous… N’y pense plus.

GENNARO Que je n’y pense plus ? Tu n’as pas vu ce que j’ai vu moi en traversant tous ces pays… La guerre n’est pas finie…

AMEDEO Papa, ici nous sommes tranquilles…

GENNARO Je vois bien, je vois bien… Que de fois, j’ai échappé à la mort ! Il faut que j’aille au sanctuaire de Pompéï — Et alors je n’aurais pas vu ce beau logement tout neuf, ces nouveaux meubles, Maria Rosaria élégante, bien habillée… Amedeo aussi… Et toi avec cette belle robe, comme une grande dame… Montre-moi, Amalia, mais ce sont de vrais brillants ?

AMALIA Oui, ce sont des brillants, ce sont des brillants. Un long silence.

GENNARO Amalia, apprends-moi ce qui s’est passé.

[…]

ACTE 2

TOUS Don Gennaro !

PEPPE vous n’allez pas nous empoisonner notre chevreau ?

ASSUNTA On voudrait jouir de la paix… Pensez à la santé… maintenant que tout est fini.

GENNARO Mais qu’est-ce que vous dites ? Que c’est fini ? 

ERRICO Bon, comme vous voudrez. Mais maintenant on mange, ne pensons plus à tous ces malheurs. Tout le monde commence à manger en parlant et en riant.

GENNARO se lève doucement Ama’, je vais voir Rituccia.

ERRICO Don Gennaro qu’est-ce que vous faites, vous partez ?

FEDERICO Don Gennaro…

GENNARO Je reste un moment avec la petite. Elle a beaucoup de fièvre.

AMALIA Je vais y aller, moi.

GENNARO Eh non madame, reste. Moi je n’ai même pas faim… C’est la fatigue… Reste à table toi. Ça vaut mieux.

MARIA ROSARIA Je viens avec toi papa.

ADELAIDE Don Gennaro ça vous paraît mal… je comprends, vous êtes encore sous le choc… comme si vous aviez peur… Mais il faut vous calmer, ici désormais nous sommes tranquilles… Tout est fini.

GENNARO Non, vous vous trompez… La guerre n’est pas finie… Et rien n’est fini.

[…]

ACTE 3

GENNARO Et toi tu as fait des affaires ? Combien de millions as-tu ?

FACE-DE-MOINE Eh ! des millions… Moi quand j’ai une tomate dans mon pain, je suis comme un roi. J’ai bien tenté quelques petites affaires, mais j’ai vite renoncé. Une fois avec Pascalino j’ai acheté cinquante kilos de figues sèches, je me suis dit : « Attendons, on les vendra quand le prix aura monté ». Cher don Gennaro, je les ai retrouvées pleines de vers, ça grouillait. Bon, j’ai tout lavé et je les ai mises à sécher : Eh bien les souris les ont presque toutes mangées et le reste était moisi. Si je voulais, je trouverais bien, mais à quoi bon ? Surtout maintenant. Ma femme est morte sous les bombardements. Don Gennaro, c’est une affaire mondiale… Nous étions dans l’abri, comme nous sommes en ce moment vous et moi, vous voyez ? Dehors les bombes tombaient et nous nous étions là à nous disputer :  « Tais-toi, je lui ai dit, les gens entendent ». Et elle  et patati et patata. Et voilà que de son côté le mur s’écroule… En une seconde, don Gennaro, elle a tout juste eu le temps de dire à Face-de-Moine : « Quand je sors de là-dessous on en reparle ». Heureusement elle est morte sur le coup, elle n’a pas eu le temps de souffrir. Une belle mort don Gennaro… Alors vous voyez, maintenant que je suis seul, je me mettrais à faire du commerce ?

[…]

ACTE 3 – SCÈNE FINALE

GENNARO Amalia, je ne sais pas pourquoi mais cette petite créature là me fait penser à notre pays.
Je suis revenu et je m’attendais à trouver ma famille ruinée ou à l’aise, mais toujours honnête. Pourquoi ?…
Parce que je revenais de la guerre…
Ici personne ne veut en entendre parler.
Quand je suis rentré de la première guerre les gens m’entouraient, pour entendre des histoires héroïques ! C’est si vrai que lorsque je n’avais plus rien à dire, je m’en souviens, je racontais des mensonges, j’inventais… Mais maintenant… personne ne veut rien entendre.
Bien sûr, ce n’est pas de ta faute, la guerre tu ne l’as pas voulue, et puis les billets de mille lires font perdre la tête… Tu commences à en voir très peu à la fois, puis cent, puis un million… Et tu ne comprends plus rien. (Il ouvre un tiroir de la commode et prend deux, trois liasses de billets) Regarde là. Pour moi découvrir toute cette quantité de billets de mille, c’est comme dans un jeu, une folie… Regarde Amalia : je les touche et mon cœur ne bat pas… Et le cœur doit battre quand on touche des billets de mille lires…
Que te dire ? Si j’étais resté ici, j’aurais peut-être perdu la tête moi aussi ? Et pour ma fille qui m’a tout avoué hier soir qu’est-ce que je dois faire ? Je la pousse dans la rue et je lui dis, va, va faire la putain ? Combien de pères alors devraient chasser leurs filles ? Pas seulement à Naples.
Et toi Amalia, qui n’a pas su te conduire comme une mère, qu’est-ce que je fais, je dois te tuer ? Je combine une tragédie ? La tragédie qui a dévasté le monde ne suffit donc pas ?
Et Amedeo ? Amedeo qui est un voleur. Oui, Amedeo est un voleur. Ton fils est un voleur… de lui justement, je n’ai peut-être pas à me préoccuper, parce quelqu’un d’autre y pense pour moi… Maintenant tu as compris. Et moi j’ai compris que je dois rester ici.
À présent nous devons attendre, Amalia, attendre…
Qu’est-ce qu’a dit le docteur ? Il faut que la nuit passe.

Extraits

Un bijou théâtral griffé de cinéma néoréaliste avec un zeste d’onirisme fellinien (…) La pièce est admirablement servie par l’inspiration fraîche et enjouée de la metteuse en scène Anne Coutureau, soutenue par l’équipe soudée de ses treize comédiens (…) Tous les ingrédients du théâtre sont là : effroi, terreur, compassion et rire salvateur. Un sentiment d’émotion authentique est diffusé sur le plateau : une leçon d’Histoire, de morale et d’humanisme
Véronique Hotte – La Terrasse

 

À travers l’aventure de cette famille et de leurs amis sont abordés, avec émotion et truculence, tous les thèmes qui passionnent l’humanité : la solidarité, l’injustice, la fidélité, le sens de la souffrance, les rapports homme-femme, la morale… Anne Coutureau, dont certains connaissent le grand talent, monte la pièce avec vérité, authenticité, générosité. Elle est servie par une distribution en tout point remarquable.
Jean-Luc Jeener – Le Figaroscope

 

Dans une belle scénographie qui évoque le cinéma réaliste italien, la mise en scène d’Anne Coutureau passe du burlesque à la gravité. Elle fait entendre l’interrogation assez amère de l’auteur sur l’avenir de son pays, tout en déchaînant le rire.
Sylviane Bernard-Gresh – Télérama Sortir

 

Par sa mise en scène très en mouvement et sa direction d’acteurs poussée vers le réalisme, Anne Coutureau a su faire palpiter cette histoire qui oscille avec adresse entre la comédie et le drame. La pièce dure plus de deux heures et jamais l’ennui ne vient s’abattre sur nous.
Marie-Céline Nivière – Le Pariscope

 

Théâtre de haute morale, enseignée au milieu du rire et des larmes dans la prose âpre du quotidien. Il n’est pas un geste de cet admirable acteur et auteur populaire qui n’ait été pétri dans la plus juste humanité. Anne Coutureau le sert avec chaleur en un fier élan de reconnaissance.
Jean-Pierre Léonardini – L’Humanité

 

Enivrant et poétique.
Igor Hansen-Love – L’Express

 

Un beau voyage au pays de l’humain.
Jean-Luc Bertet – Journal du Dimanche

 

Chef-d’œuvre ! Toute l’humanité est résumée dans les personnages de cette pièce, avec un talent fou ! Le jeu est exceptionnel, chaque personnage étant interprété à la perfection. Les confrères les plus sévères qualifiaient le spectacle de « géant » ou « moliérisable ». Que dire d’autre d’ailleurs ?
Pierre François – France Catholique

 

On admire que la compagnie Théâtre vivant ait pu monter une production réunissant treize acteurs. Ces comédiens sont excellents. On se croirait dans les faubourgs de Naples !
Gilles Costaz – Politis

 

Pour porter la pièce au rythme des deux composantes de la vie que sont le rire et les larmes, il a écrit une partition théâtrale mosaïcale riche en émotions qui combine la comédie et le drame mais également le mélodrame, la fantaisie, la farce et même le tragique dont Anne Coutureau, et ce n’est pas le moindre de ses mérites, restitue avec subtilité toutes les nuances. Elle met en scène cette parabole humaniste et quasi biblique avec autant de rigueur et de sensibilité que de fidélité à l’auteur et à l’oeuvre.
Martine Piazzon – Froggy’s delight

 

Treize acteurs campent la vingtaine de personnages pathétiques, ridicules et grandioses de ce drame qui garde le sourire. Ils sont tous d’une intensité et d’une justesse de funambules. La vie est là, belle et féroce. Anne Coutureau nous emmène très loin, dans l’exploration de l’âme humaine. Olivier Pansieri – Les Trois Coups La très belle scène où le père ne parvient pas à faire entendre l’horreur qu’il a subie à des convives trop occupés à festoyer bénéficie de la forte interprétation de Sacha Petronilevic.
Aurélien Ferenczi – Télérama

 

Tout est tenu, d’un bout à l’autre, dans une cohésion de troupe qui rend l’ensemble évident. Pas un détail ne fait défaut, la maîtrise est parfaite. C’est en assistant à de tels spectacles que l’on prend conscience de ce que peut être le théâtre quand il se fait l’art du présent et du vivant.
Paul Barthe – Théâtrorama

 

Dans cette mise en scène, il y aurait un mot à écrire en caractère gras valorisant la prestation de tous les comédiens et le travail d’Anne Coutureau: Dignité. Naples millionnaire, un très grand moment de théâtre à voir et à revoir.
Philippe Delhumeau – La Théâtrothèque

 

La mise en scène est subtile, imprégnée de réminiscences cinématographiques – musique de Rota, cérémonies de table à la Visconti, personnages à la De Sica – avec un sens du rythme vertigineux. Anne Coutureau remue, invite, lâche la main et la reprend : une vraie magie entoure son travail, précis, envoutant, c’est du grand art et de la vraie vie. (…) Triomphe à la Cartoucherie, au Théâtre de la Tempête, ce magnifique spectacle d’Anne Coutureau continue à subjuguer, alliant la drôlerie féroce à la noirceur philosophique, sous le regard de la Madone qui juge et aime Naples et ses enfants pauvres et si riches de leur humanité. Une éblouissante réussite.
Christian-Luc Morel – Froggydelight

 

Il faut rendre hommage aux treize acteurs qui composent cette comédie humaine avec sa truculence, ses drames et ses inventions délirantes. C’est la vie que l’on voit sur scène.
Micheline Rousselet – SNES

 

Une réussite qui doit beaucoup à une troupe d’acteurs très motivés où même les petits rôles ne sont pas négligés.
Michel Jakubowicz – ON ZeGreen

 

Les événements sont dignes d’une tragédie, mais sont traités sur un mode souple, allègre, sinon léger. Anne Coutureau utilise des intermèdes musicaux pour organiser des ballets aérant et dynamisant la représentation. La mise en scène, discrète, sert efficacement les contrastes et les richesses du texte. Les acteurs font une prestation sobre et remarquable d’efficacité. Ils parviennent à tenir soutenue et intéressée l’attention du public en se contentant de servir avec la plus grande sincérité le texte. Tout cela accentue l’identification du jeu et de la vie, assimilée à un drame assourdissant et risible.
Christophe Giolito – Le Litteraire.com

 

La mise en scène d’Anne Coutureau nous plonge dans une atmosphère haute en couleurs dès les premières scènes. Et le souci de réalisme de son adaptation sonne juste. Ici, point de caricature. Chaque personnage a sa cohérence entre émotion et comique burlesque.
Victor Dixmier – Paris.fr

 

Un texte émouvant donc auquel vient s’ajouter une superbe mise en scène. Et que dire de l’interprétation ? Rien justement car elle est parfaite. Aucun comédien ne faillit à son rôle, tous sont poignants tant ils sont vrais. Un magnifique spectacle que je vous recommande vivement. Et gageons que cette oeuvre soit enfin connue du plus grand nombre. Merci à Anne Coutureau d’avoir si bien su la mettre en lumière.
Audrey Natalizi
– Mes illusions comiques

 

Drame historique, farce sociale, psychodrame familial…? Naples millionnaire ! – pièce riche en surprises – lorgne un peu vers divers genres. Et derrière un thème difficile (la guerre et ses petitesses), cette œuvre subtile et lyrique se profile naturellement, formant un cru théâtral mordant. Avec ses décors allégoriques et stylisés, Naples millionnaire, fresque théâtrale oppressante et drôle, nous confronte à une Italie déchirée, désireuse d’oubli et d’apaisement.
Thierry de Fages – Le Mague.com

 

L’auteur semble laisser une place à l’utopie (forme élégante du désespoir), en démontrant par les réflexions de son héros ordinaire, que le libre arbitre et l’intégrité sont possibles par une prise de conscience volontaire et qu’elle est affaire de chacun. Une mise en scène souvent ingénieuse et haute en couleurs (…) Et quel plaisir d’être face à une troupe de comédiens nombreux!
Aurèle Ricard – PerformArts

 

Le ton tragi-comique est bien rendu par la mise en scène qui a choisi de multiplier les références néo-réalistes.
Julie de Faramont – Fluctuat.net

 

Passionnant. D’un humour féroce. On rit, même quand c’est atroce.
Béatrice Chaland – Le rideau rouge

 

Malgré un décor assez minimaliste, Anne Coutureau met parfaitement en scène l’ambiance de Naples : des décors baroques aux costumes en passant par la musique traditionnelle assurant les transitions, rien ne détonne. (…) La troupe de comédiens (est) aussi brillante dans le burlesque que dans le tragique. (…) La pièce résonne avec nos sociétés modernes, questionnant le rapport des individus à la morale en temps de crise.
Pauline Le Gall – Evene.fr

 

Anne Coutureau réussit à emmener avec elle une bande de treize comédiens tous justes, tous très crédibles dès leur entrée en scène; aucun bluff,  aucune craillerie, aucun cabotinage mais une exigence absolue, une unité dans le jeu et une sacrée humilité dans un travail au service d’un théâtre à la fois populaire et intelligent. Anne Coutureau  confirme qu’elle est une excellente directrice d’acteurs et une metteuse en scène qui sait prendre une pièce en main, en respectant son public. Un travail exceptionnel à la fois dans la compréhension du monde d’Eduardo de Filippo et dans la façon qu’elle a de s’emparer d’un plateau, un peu comme elle le ferait si c’était celui d’un studio de cinéma.
Philippe du Vignal – ThéâtreDuBlog

 

Anne Coutureau s’est entourée d’une troupe nombreuse et investie. Grands ou petits rôles, tous les comédiens mettent leur enthousiasme et leur talent au service du jeu collectif. La mise en scène reste fidèle au texte -avec quelques clins d’œil au cinéma italien- restituant sur scène sa force et sa fraicheur, soulignées par une scénographie d’une grande beauté. Une réussite.
Christine Monin – Visioscène

 

L’émotion nait, sans pathos, avec humour.
Evelyne Sellès-Fischer – Historia