Andorra
Mécanismes de l’exclusion et de la haine
D’origine franco-allemande, je me suis souvent interrogé sur les monstruosités commises par l’Allemagne nazie. Les pires horreurs ne sont pas uniquement l’oeuvre des puissants, mais aussi des « petites gens » dans leurs lâchetés et compromissions du quotidien. Des écarts, que l’on peut facilement mettre sur le compte d’un contexte extérieur indépendant, mais qui au final constituent un terreau fertile à une haine primaire et violente qui prendra toute son ampleur en cas de crise économique ou politique. La responsabilité de chacun est réelle dans certaines des pires horreurs commises collectivement.
La littérature germanophone d’après guerre a décortiqué les mécanismes de la haine qui ont mené – entre autre – au génocide juif, en identifiant leurs naissances dans ces actes du quotidien. Cette littérature est à la fois une tentative de compréhension (si cela est possible…), mais surtout un appel à la vigilance pour les générations futures.
L’Europe et la France d’aujourd’hui reproduisent certains de ces mêmes mécanismes : la recherche d’un bouc émissaire pour nos maux, la justification d’un racisme assumé, la considération de l’étranger ou de celui qui est différent comme menace et responsable de notre incapacité à réinventer le monde dans lequel nous vivons. Croire qu’une minorité a le pouvoir de faire échouer une société, c’est surtout nier notre propre responsabilité à cet échec.
Aujourd’hui, le Juif d’Andorra pourrait avoir bien d’autres identités… Mais, la mécanique est restée la même.
Andorra, malheureusement, surprend toujours aujourd’hui par sa justesse et sa pertinence. Il est donc important de réentendre un texte comme celui-là, pour cet appel au refus de la haine.
Scruter l’intime
Plutôt que de chercher les origines de cette haine dans un contexte culturel, social ou économique, Max Frisch va scruter l’intime de chaque individu, pour y déceler les échecs, frustrations et souffrances, qui projetés sur celui qui est différent ou en situation de faiblesse, deviendront exclusion, rejet puis haine.
Attribuer à l’autre ses propres défauts, le rendre responsable de ses propres échecs, permet non seulement de se dédouaner de toute responsabilité, mais aussi de s’exorciser de ces souffrances. Andri deviendra malgré lui ce révélateur du dégoût de soi.
C’est démultipliés à l’infini que ces mécanismes deviennent une monstruosité, mais ils sont, à leur naissance, très humains, trop humains. Ce texte nous met face à nous même, et nous interroge sur ce que nous portons en nous, et sur notre vision des autres.
C’est cet axe de travail que j’ai choisi pour monter Andorra.
Documentaire théâtral
Sans modifier fondamentalement la structure de la pièce et sans procéder à une modernisation excessive du contexte d’Andorra, je souhaite que le spectacle prenne tous son sens dans ses résonances avec aujourd’hui.
Sorte de documentaire théâtral, le temps de la représentation sera la reconstitution d’un fait divers qui a eu pour conséquence la mort d’un jeune homme. Débute alors une enquête qui remonte le fil des événements jusqu’à cette mort.
Une histoire vivante, burlesque et émouvante.
Sur le plateau, trois pans de murs mobiles, qui dès le début de la représentation seront peints en blanc. Ils deviendront une rue, une place, l’intérieur d’une maison, une ligne de fuite, un écran… Un travail de troupe choral, précis et exigeant, pour porter cette histoire, à la fois vivante, rythmée, burlesque, souvent drôle, émouvante et violente.
Cette reconstitution est entrecoupée (comme dans le texte original de Frisch) par les témoignages de certains des protagonistes, qui déclinent à l’infini leur absence de responsabilité dans ces faits. Si le contexte historique n’est pas marqué sur le plateau, les témoins (présents sous forme de documentaire vidéo) eux sont bien ancrés dans la France de 2015.
Débute alors un dialogue entre un texte de 1961 et la France d’aujourd’hui, entre des comédiens qui jouent les personnages d’une fable et les vrais protagonistes, entre la réalité d’un meurtre collectif et sa justification à postériori. » Fabian Chappuis
Production Compagnie Orten,
Coproduction Théâtre de Bagneux,
avec le soutien du Festival d’Anjou – Prix des compagnies 2013,
d’ID Production,
d’Arcadi Île-de-France,
de l’Adami,
de la Spedidam,
de Tolomei,
de la Fondation pour la mémoire de la Shoah
et du Théâtre 13 / Paris.
Mise en scène Fabian Chappuis
Avec
Alban Aumard Le Docteur,
Anne Coutureau La Senora,
Romain Dutheil Andri,
Stéphanie Labbé L’Aubergiste,
Hugo Malpeyre Le Soldat,
Laurent d’Olce Le Maître d’école,
Loïc Risser Le Prêtre,
Marie-Céline Tuvache La Mère,
Elisabeth Ventura Barbeline,
Eric Wolfer Le Menuisier
Traduction Armand Jacob. L’Arche est agent théâtral du texte représenté.
Adaptation et scénographie Fabian Chappuis,
Assistant à la mise en scène Emmanuel Mazé,
Musique Cyril Romoli,
Chorégraphie Yann Cardin,
Lumière Florent Barnaud,
Vidéo Bastien Capela & Quentin Defalt, Régie vidéo Ludovic Champagne,
Costumes Maud Berthier et Domitille Roche-Michoudet,
Masques Sébastien Puech,
Construction décor William Defresne & Thierry Ortie (Comme sur un plateau),
Administration François Nouel,
Diffusion Isabelle Decroix,
Presse Jean-Philippe Rigaud.